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L'ÉMANCIPATION DES FEMMES DU ROJAVA ET SES ACCROCS 

 

 

Si la révolution du Rojava venait à être vaincue, il resterait dans les mémoires l’émancipation des femmes. Émancipation de la domination patriarcale si pesante au Proche-Orient. Cette libération n’est pas un acte spontané résultant d’une rébellion des femmes aussi soudaine que la révolution. Elle est l’aboutissement d’un processus politique inscrit dans le programme du confédéralisme démocratique conçu par Abdullah Öcalan depuis le début des années 2000. Öcalan écrit dans sa brochure Libérer la vie : la révolution de la femme : Les femmes « sont véritablement les agents sociaux les plus fiables sur le chemin d’une société égale et libertaire ». Le Contrat social de 2016, « constitution » de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord, est traversé par cette volonté d’égalité entre les sexes. On en donnera ici quelques exemples dans l’organisation sociale, les droits civils et politiques, sans cacher les interrogations que suscitent la résistance de la société traditionnelle, le militarisme et l’instrumentalisation de la femme.

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PARLONS D'ÉMANCIPATION

L’émancipation des femmes du Rojava et dans les territoires arabes libérés de l’État islamique ne peut être comprise qu’en référence à son fondement idéologique, la jinéologie, science de la femme, initiée par Öcalan, aujourd’hui enseignée dans les écoles et les universités du Rojava. La jinéologie reconsidère l’ensemble des connaissances dans un cadre d’analyse féministe et réinterprète en conséquence les savoirs et expériences des femmes. Elle participe ainsi à la constitution d’une identité féminine libre, remettant en cause le triangle oppresseur patriarcat-État-capital, et contribue à la construction d’une société démocratique.​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​

Fête de Newroz, nouvel an kurde

Le Contrat social est imprégné de cette idée de contribution des femmes à la révolution, à la fois totale et particulière. Dans son Préambule, il est écrit que les femmes « formeront leurs organisations et leurs institutions démocratiques ». Puis l’article 26 ajoute qu’elles ont le droit « de prendre les décisions qui les concernent ». Sur cette base, les femmes de la Syrie du Nord et de l’Est ont développé et fédéré de nombreuses organisations féminines non mixtes, le plus souvent sous l’impulsion de l’Union des femmes (Kongra Star) et, depuis 2019, d’un Conseil fédéral des femmes : communes et comités, troupes militaires et forces de polices, justice autonome, universités, coopératives autogérées, associations diverses, villages mêmes… Ce séparatisme n’isole pas les femmes du reste de la société, au contraire.

 

Les organisations féminines prennent part aux assemblées générales de la commune, du quartier et aux institutions fédérales comme aux instances civiles, associatives, religieuses, militaires, économiques ou autres. Du congrès des peuples démocratiques (assemblée fédérale) à la plus petite commune – la plus petite association –, la présidence doit être assurée par une femme et un homme. Dans toutes les assemblées politiques, tous les conseils exécutifs, les deux sexes doivent être représentés en nombre égal. Bien sûr, la grande question est de savoir si la parité garantit l’égalité réelle. La réponse est négative au Rojava comme ailleurs. Toutefois, se tromperait lourdement celui qui dirait que les femmes ont un rôle de « potiches » dans les institutions politiques et représentatives. Les militantes, les mandatées, les élues y tiennent toute leur place, et quand elles occupent des fonctions importantes aux différents étages de l’ordre institutionnel, elles sont loin d’être l’ombre de leurs associés masculins. 

 

C’est peut-être sur le terrain des droits civils que la libération des femmes est la plus significative au regard de la société traditionnelle et de la loi islamique. Une loi de 2014 de la région de Cizîrê, reprise dans les autres régions du Rojava et partiellement dans les territoires libérés, outre des dispositions générales de protection de la femme, énonce les droits suivants : divorce à la demande de chaque partie ; bannissement de la polygamie ; interdiction du mariage avant dix-huit ans et des mariages forcés ; organisation du mariage civil et annulation de la dot ; égalité devant l’héritage ; égalité des salaires et congés de maternité.

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Femmes kurdes combattantes

CE QUI POSE PROBLÈME

 

Cet énoncé des droits civils et politiques interroge sur leur effectivité. Si des progrès considérables ont été enregistrés, la bataille contre la société patriarcale est loin d’être gagnée : les mariages précoces et la polygamie persistent. Le phénomène est évidemment plus sensible dans la société traditionnelle kurde des campagnes ou dans la population arabe des territoires libérés. Les autorités locales et fédérales, plutôt que la répression, ont choisi l’information pour convaincre du bien-fondé de ces réformes. Elles reçoivent l’aide des organisations féminines qui mènent d’intenses campagnes qui ne sont pas sans risque pour les femmes qui les suivent. Certaines d’entre-elles qui participent à la vie politique ou revendiquent leur droit sont sujettes à pression, menaces, voire à des violences physiques. C’est pourquoi certaines militantes et responsables politiques pensent qu’il faudrait désormais mettre en œuvre plus activement la procédure judiciaire pour cadrer les contrevenants. Et ce, dans l’esprit de la justice du consensus, celle qui explique et cherche la conciliation avant toute sanction.

 

Un autre problème taraude les esprits libertaires plus que les autorités militaires de la révolution. La constitution d’une troupe féminine, les Unités de protection des femmes (YPJ), intégrées aux Forces démocratiques syriennes (FDS), est présentée là-bas, comme souvent ici d’ailleurs, comme un facteur d’émancipation. Si la constitution de milices révolutionnaires peut être une source de libération pour des jeunes filles opprimées par le patriarcat, quand ces milices sont militarisées jusqu’au ridicule de l’accoutrement des forces spéciales féminines ‒ fusils d’assaut américains, cagoules, bandeaux rouges à tête de mort ‒ la question prend une tout autre dimension. En quoi l’armée, pour les hommes comme pour les femmes, serait émancipatrice même si le combat est juste ? Ce d’autant que la femme en arme, belle et vaillante, défiant les barbares de l’État islamique, a été instrumentalisée à des fins de propagande, artifice dans lequel sont tombés les médias occidentaux, non sans arrière-pensées, et malheureusement, nombre de militants hallucinés par le romantisme révolutionnaire. Que reste-t-il de l’article 11 du Contrat social qui interdit « la transformation de la femme en objet » ?

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Cours de syriaque à l'école, pratique interdite sous le régime syrien

CONCLUSION

 

Il y aurait bien d’autres choses à dire sur la femme dans la révolution du Rojava qui malgré les difficultés et quelques accros reste une expérience sans pareille. Cette révolution ne saurait d’ailleurs être réduite à l’émancipation de la femme, toute importante qu’elle soit. Elle s’inscrit dans un projet plus vaste, la constitution d’une société fondée sur la commune, la démocratie directe et le fédéralisme. Ce projet est contraint par les pires difficultés géopolitiques au premier desquelles invasions et harcèlements continuels de la Turquie d’ErdoÄŸan et de ses mercenaires islamistes. C’est pourquoi la Fédération mérite d’être soutenue. Un soutien militant qui n’exclut pas une critique anarchiste et féministe, une critique constructive.

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