​IMAGINAIRES
POLITIQUES

STORYBOARD

Lors d'une réception qu'Emmanuel Macron offrit à Vladimir Poutine en 2018, un journaliste de France 3 demande pourquoi a été choisi le Palais de Versailles, qui semble quelque peu monarchique... La réponse de Macron fut :
​
" VERSAILLES, C'EST LÀ OÙ LA RÉPUBLIQUE S'EST RETRANCHÉE QUAND ELLE ÉTAIT MENACÉE".
L'affirmation d’Emmanuel Macron semble se poser en toute ignorance des faits historiques. Ou peut-être pire, en toute conscience. Car de quelle République parle-t-on, en 1871 ? Et de quel côté de la République parle Emmanuel Macron ?
PETIT COURS DE RÉPUBLIQUE : LA IIIème
1- LA RÉPUBLIQUE NE S'EST PAS RÉFUGIÉE À VERSAILLES QUAND ELLE SE SENTAIT MENACÉE.
La IIIème République est proclamée le 4 septembre 1870 par Gambetta, à la suite de la capitulation de Napoléon III à Sedan le 2 septembre, et de sa déchéance subséquente prononcée par le corps législatif. Le même jour est constitué un Gouvernement (provisoire) de Défense Nationale qui, sous la présidence du Général Trochu, est constitué de députés républicains modérés de Paris. La mission de ce gouvernement est la continuation de la guerre contre la Prusse.
​
​
​
​
​
​
​
​​​​​
Le gouvernement provisoire de Défense nationale. De haut en bas et de gauche à droite :
- Jules Favre, le général Trochu, Léon Gambetta,
- Emmanuel Arago, Adolphe Crémieux, Henri Rochefort, Ernest Picard, Alexandre Glais-
Bizoin,
- Jules Simon, Louis-Antoine Garnier-Pagès, Jules Ferry, Eugène Pelletan.
Le 28 janvier 1871, l’armistice avec les prussiens, signé par Jules Fabre au nom du Gouvernement de Défense Nationale, prévoit la convocation d’une Assemblée nationale, seule en mesure de ratifier un traité de paix.
Le 8 février 71, la première Assemblée nationale de la IIIème République est élue, après une campagne électorale courte (10 jours) et difficile : réunions électorales impossibles dans les 43 départements occupés, et 500 000 soldats prisonniers ne peuvent voter.
Le 17 février, 71 l’assemblée confie le pouvoir à Thiers, et Grévy est élu président de l’assemblée.
Le 10 mars enfin, Versailles est décrétée lieu de réunion de l’Assemblée nationale, retirant ainsi à Paris son rôle de capitale, soit une semaine avant le soulèvement du 18 mars. La IIIème République n’était alors menacée ni par les Prussiens, qui avaient commencé à négocier avec Thiers un traité de paix, ni par la Commune, qui n’était alors pas advenue…
Par contre, la IIIème République était fort menacée de l’intérieur, par ses propres parlementaires et généraux.
LA QUESTION EST DE SAVOIR CE QUI MENAÇAIT LE RÉPUBLIQUE (TROISIÈME DU NOM) À PART LA IIIème RÉPUBLIQUE ELLE-MÊME.
1- LES PARLEMENTAIRES
Le 31 janvier 71, anticipant les élections législatives, Gambetta décrète l’inéligibilité des anciens candidats officiels de l’Empire, bonapartistes et royalistes. Bismarck, furieux, menace de rompre l’armistice. Jules Simon fait annuler le décret, Gambetta démissionne le 6 février.
Le 8 février 71 se déroulent les élections législatives. Composition de l’Assemblée, de gauche à droite :
- 38 Républicains radicaux
- 112 Républicains modérés
- 72 Libéraux
- 20 Bonapartistes
- 214 Orléanistes
- 182 Légitimistes
Garibaldi est élu mais déclaré inéligible car étranger : Victor Hugo démissionne pour protester. Les ruraux sont largement favorables aux conservateurs (légitimistes 1, ultra montains 2 et orléanistes 3) qui sont cependant très divisés. Le grand vainqueur est Thiers, élu dans 26 départements. Il devient le chef du pouvoir exécutif au sein d’une Assemblée nationale très largement dominée par les monarchistes et les réactionnaires.
​
​​
​
​
​​​​
​​​​​​
​
​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​​Léon Gambetta dégaine son épée tandis qu'Adolphe Thiers jette une galette (un portefeuille ministériel) pour détourner l'attention de Cerbère dont les trois têtes représentent les légitimistes, les orléanistes et les bonapartistes. « La Situation », caricature d'André Gill publiée dans L'Éclipse (9 février 1873). Dessin réalisé d'après une composition de John Tenniel publiée dans le magazine britannique Punch le 21 décembre 1872.
​
​
​
​
​
​​​​​​​​​​
L’Assemblée a deux priorités, conclure la paix et soumettre Paris :
- Le 15 février 71 est votée la suppression de la solde de la Garde Nationale, privant des centaines de milliers de parisiens de leurs revenus.
- Le 19 février, Thiers négocie avec Bismarck les conditions de la paix : indemnités militaire de 5 milliards de francs-or, cession de tout ou partie de 5 départements de l’Alsace et de la Lorraine.
- Le 1er mars, l’assemblée ratifie le traité de paix (546 pour, 107 contre et 23 abstentions) et vote la déchéance de Napoléon III.
- Le 6 mars, le Général d’Aurelle de Paladines, réputé pour n’avoir pas mis tout son coeur à l’ouvrage, est nommé commandant en chef de la Garde Nationale. C’est une provocation pour les parisiens.
- Le 10 mars, vote de la fin du moratoire des loyers et des effets de commerce : plus de 150 000 Parisiens sont menacés d'expulsion, de faillite et de poursuites judiciaires ; Versailles est choisi comme lieu de réunion, Paris perd son rôle de capitale.
- Le 17 mars, Thiers ordonne la confiscation des canons payés par les Parisiens, qui occasionnera le soulèvement du 18 mars, puis la Commune.​​​​​


Après la Commune, le monde rural change de position politique, inquiet d’un retour à l’ancien régime et ses privilèges. Mac Mahon, royaliste convaincu, est élu président de la IIIème République par la majorité parlementaire également royaliste en mai 1873, après qu’elle ait orchestré la chute de Thiers, devenu trop républicain à son goût. Mac Mahon imposera le duc de Broglie à la présidence du Conseil, projetant une restauration de la monarchie (troisième Restauration) qui ne verra pas le jour.
Aux élections municipales de 1874 se produit une poussée républicaine. Mais les conservateurs de de Broglie imposent l’« Ordre moral » 4 : il s’agit de redonner de l’influence à la religion catholique. C’est dans ce contexte que sera érigé le Sacré Coeur, dédié à l'expiation après, comme le formulait en septembre 1870 Félix Fournier, évêque de Nantes, « un siècle de déchéance morale depuis la révolution de 1789 » >>.
Plusieurs instituts catholiques sont créés, le mot de république disparaît des actes officiels, la célébration du 14 juillet est interdite, des préfets et magistrats sont remplacés par des fidèles.
La presse est étroitement surveillée. En janvier 1874, une loi permet aux préfets de remplacer les maires républicains par des partisans de l’Ordre moral. Mais Broglie doit démissionner en mai 1874.​
​
En 1875, l’assemblée nationale vote enfin les trois lois qui instaurent définitivement la Troisième République (auparavant, simplement ébauchée par des lois ponctuelles).

Le Maréchal Patrice de Mac Mahon

Albert, duc de Broglie.
LES GÉNÉRAUX
​
D’où l’on peut supputer des tendances royalistes des généraux de la guerre franco-prussienne des conséquences sur son issue :
LOUIS D’AURELLE DE PALADINES

Le Général en grand uniforme
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_d’Aurelle_de_Paladines
Le général d’Aurelle de Paladines commande le 11ème corps d’armée pendant la guerre franco-prussienne. Le 26 octobre, il reçoit l’ordre de marcher sur Orléans : il tergiverse 13 jours, alors que les prussiens sont inférieurs en nombre. Après la capture d’Orléans par les prussiens, il est nommé par le Gouvernement de défense nationale commandement de l’armée de la Loire. Il gagne la bataille de Coulmiers et son armée expulse les prussiens d’Orléans. Léon Gambetta l’enjoint à combattre les 45 000 prussiens qui barrent la route de Paris, mais Paladines se retranche dans Orléans pendant un mois avec ses 100 000 hommes. Les prussiens, libérés du siège de Metz après la capitulation de Bazaine, reprennent ainsi Orléans en décembre. Le gouvernement de Tours (Gambetta) le « libère » de sa charge le 7 décembre en raison de son « flottement » face aux prussiens. Le 6 mars, dans les jours qui précèdent la Commune, Thiers le nomme commandant en chef de la Garde nationale de Paris. Le 18 mars, il se réfugie à Versailles. Elu sénateur à vie en 1875, il soutiendra la majorité royaliste en 1876.
Le général Bazaine est nommé, le 12 aout 1870, en pleine guerre, commandant de l’armée du Rhin, principale armée de la guerre franco-prussienne. Il sera accusé de trahison par Gambetta et passera devant un Conseil de guerre en 1873. Le lieutenant d’infanterie Eugène Roiffé rédigera en 1871 le recensement magistral de toutes les opportunités de battre l’armée prussienne que Bazaine « négligea » :
- bataille de Mars-la-Tour, où il dédaigne l’opportunité de détruire plusieurs corps de l’armée ennemie, mais décide plutôt, à l’étonnement général, de replier son armée de 180 000 hommes à Metz.
​
- de Gravelotte où l’armée prussienne est écrasée et la route de Verdun ouverte, ce que Bazaine n’exploite aucunement : deux jours après, la route est coupée. Pendant la troisième bataille de Gravelotte, Bazaine se repose au fort Plappeville : la bataille doit s’interrompre à 3 heures de l’après-midi, faute de munition, à 8 kms d’un parc de réserve…

François Achille Bazaine en campagne au Mexique.
Portrait par Jean-Adolphe Beaucé
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/François_Achille_Bazaine
- de Metz, où Bazaine tergiverse, dispense généreusement l’approvisionnement, sans anticiper de rationnement, où les troupes réclament des sorties, et ne comprennent pas l’apathie du commandement. Le 28 aout, Bazaine sort de sa léthargie, les troupes se massent au fort Saint-Julien : mais la pluie survient ! Bazaine ordonne le retour au campement. Il aurait été facile d’opérer une trouée, de rejoindre les troupes de Mac Mahon, d’éviter le désastre de Sedan.
Le 31 aout, Bazaine enfin attaque, Sainte Barbe et Les Maxes sont conquis, l’armée prussienne est refoulée. Poursuivre cette avancée promet une victoire décisive sur les prussiens. Mais aucun ordre n’est donné, les deux positions sont abandonnées, les Prussiens les reconquièrent aussitôt, détruisant l’immense approvisionnement abandonné sur place. Les Maxes sont livrés aux flammes. Bazaine rentre à Metz sans s’occuper de son armée. Aucun ordre jusqu’au 7 octobre, inaction complète. Metz est rationnée, on commence à manger les chevaux de la cavalerie. Les hôpitaux remplis de malades et de blessés, l’abattement s’empare des régiments, qui se questionnent sur les intentions du commandant en chef : attend-il un affaiblissement pour livrer l’armée à l’ennemi ? La capitulation de Sedan est vécue comme une indignité par l’armée. Déchéance de Napoléon le 12 septembre, déclaration de la République le 14 :
Roiffé : La déchéance de Napoléon fut un coup de foudre pour Bazaine, dès ce moment son parti fut pris et arrêté irrévocablement : ouvrir des intelligences avec l'ennemi, se mettre en rapport, soit avec l'Empereur, soit avec l'Impératrice, manger le reste de ses vivres, achever de désorganiser son armée pour la livrer à l'ennemi, afin de la mettre ainsi dans l'impossibilité d'essayer une trouée, faire tomber du même coup Metz dont le décret du 13 octobre 1863 lui donnait le commandement absolu, en qualité de commandant en chef à proximité d'une place forte, voilà quels furent les projets de ce misérable.
Roiffé, républicain convaincu, accuse d’incompétence, de lâcheté et de trahison les généraux Bazaine, Lebœuf, Frossard, de Braüer et Canrobert. Il relève, en une sorte d’uchronie, la longue liste des occasions ratées de gagner la guerre, et les déclarations ou décisions menant à accréditer l’idée de la trahison à l’égard de la République.
De deux choses l'une, ou ces généraux sont des traitres ou des ânes, mais alors l'ignorance chez un général est un crime ; ces deux hommes devront être mis en jugement.
Quelques unes des questions que se pose Roiffé :
- Pourquoi le général Bourbaki a-t-il quitté l'armée, quelle était sa mission, où est-il allé ?
- Pourquoi n'avoir pas fait reconnaitre dans l'armée le Gouvernement de la défense nationale ?
- Que signifie cette communication faite verbalement aux officiers par leurs chefs, le 19 octobre 1870, et dont voici un passage :
Les différentes villes ne s'accordent pas, quant à la forme d'un gouvernement nouveau. Les d'Orléans ne se sont pas présentés.
Le gouvernement prussien ne peut songer à établir des bases de négociations qu'en s'adressant au gouvernement de fait qui existait avant le 1er septembre, c'est à dire à la Régence ou au Corps législatif qui a siégé jusqu'au 1er septembre, mais pour que ce Corps puisse délibérer, il faut qu'il soit protégé par une armée française. Tel est le rôle qu'aura sans doutes a remplir l'armée de Metz.
Roiffé : Ce discours a été écouté par tous dans le plus profond silence, tellement nous étions frappés de stupeur. Bazaine a donc levé le masque ; il veut faire de nous les soldats d'un nouveau Deux-Décembre 5. Infamie !!! mêlés aux Prussiens, nous allons marcher sur Paris pour mitrailler des Français et rétablir la famille maudite des Napoléon, non ! Dieu ne permettra pas un tel crime, nos armes nous tomberaient plutôt des mains ou se tourneraient contre nous.
- Pourquoi du 1er septembre au 7 octobre, l'armée et la garnison de Metz n'ont-elles pas exécuté des sorties, tenté des coups de main, fatigué, inquiété et harcelé l'ennemi ?
- Pourquoi, les opérations étant suspendues, Bazaine a-t-il tenu constamment des conseils de guerre mystérieux avec les généraux de l'armée ?
- Pourquoi Bazaine a-t-il toujours fait peser une censure arbitraire sur les journaux de Metz ?
Écrivant alors dans l'Indépendant de la Moselle, j'ai remarqué plusieurs fois que les épreuves avaient été retournées à la rédaction parce que le mot de République avait été employé.
​
​
Le 27 octobre, Bazaine capitule à Metz. Il accompagne sa capitulation d’une déclaration, : « Jamais, dans les fastes militaires, résistance n'a été poussée plus loin. C'est pour vous éviter les affres de la famine que je suis obligé de me rendre, dans l'honneur. Car l'honneur est sauf, soyons dignes dans l'adversité »…
​
Dans les faits, en 1873, Bazaine est déféré devant un Conseil de guerre pour avoir capitulé en rase campagne, traité avec l'ennemi (pourparlers avec Bismarck) et rendu la place de Metz avant d'avoir épuisé tous les moyens de défense dont il disposait. Il est condamné à la peine de mort avec dégradation militaire. Mais le tribunal qui l’a condamné adresse simultanément une demande de grâce au nouveau président Mac-Mahon et sa peine est alors commuée en 20 années de prison, sans dégradation. Victor Hugo écrira : « Mac-Mahon absout Bazaine. Sedan lave Metz. L’idiot protège le traître » 6.
​
​
​
​
​
​
​
​
​
​
​
​
​
​
Le conseil de guerre
Source : https://www.musee-conde.fr/fr/notice/ph-923-proces-du-general-bazaine-trianon-6-octobre-1873-518f8d24-b216-4e39-8a2e-7f06b841dfe3​​
