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Rencontre GEORGE SAND - LOUISE MICHEL

Michel Pinglaut : uchronie librement inspirée de « Qu’avez-vous à dire pour votre défense ? »

                                      de Mariecke de Bussac

 

 

Louise Michel : Salut la bourgeoise !

 

Georges Sand : Fi, la sauvageonne !

 

- Ah oui, je suis une sorte d’épouvantail, une ogresse, puisque tu affirmes, bourgeoise insensée, qu’à Paris, nous nous mangeons entre nous.

 

- N’êtes vous pas appelée la Vierge rouge ?

 

- C’est ce qu’en disent les journaux, que tu reçois à Nohant. Tu as le choix, puisque les journaux communeux y arrivent aussi.

 

- Vous êtes, fauve déchaînée, complice de la Commune.

 

- La Commune veut la République sociale et universelle. En quoi, avons-nous notre place au zoo de Vincennes ? La Révolution sociale, ça doit te dire aussi, sauvageonne de 1848 !

 

- Mais regardez ce que la populace a fait de Paris : une ruine et un égout de vomis d’alcooliques.

 

- Les destructions, les incendies, ma vielle, aux Prussiens d’abord, aux obus versaillais ensuite. Toi, romancière, tu sais ce que signifie « tirer à boulets rouges ». Les espions napoléoniens sabotaient aussi. Ils voulaient retrouver le lupanar de Badinguet et de l’Eugénie.

 

- Mais l’Hôtel de ville ?

 

- Oui ! Nous ne voulions pas que les versaillais triomphent dans ce que fut le symbole de l’expression du Peuple. Vercingétorix, l’arverne, n’a-t-il pas voulu faire la terre brûlée devant Jules. Nous avons aussi détruit la colonne Vendôme, symbole du césarisme des Napoléons, le 1er et l’autre, le petit. Nous avons brûlé les Tuileries dont les ors provenaient des profits tirés sur le travail des malheureuses et des humbles.

 

- Pourquoi cette fièvre obsidionale ?

 

- Ma petite, voilà encore une pensée issue des cerveaux versaillais. Ignoble de reprocher aux Parisiens de vouloir défendre Paris, de ne pas céder devant les Prussiens.

 

- Il fallait arrêter cette guerre qui a meurtri la jeunesse de nos campagnes.

 

- Les Jules ont été des capitulards. Les Communeux ne sont pas des traîtres, des lâches.

 

- Ecoute. Moi aussi, j’ai été sociale et rouge. Mais je hais la violence.

 

- La violence est née de votre peur de perdre vos petits privilèges bourgeois, d’avoir reconnu que les Communeuses et les Communeux voulaient sortir de la misère. J’ai d’ailleurs écrit un roman feuilleton populaire La Misère en 1881.

 

- Oui, je me souviens des jeunes filles de Lyon, face à leurs métiers à tisser et la réponse d’un député : « Si on interdit aux enfants de travailler, de quoi vivraient leurs familles ». Moi, j’étais une indignée.

 

- Alors, pourquoi nous avoir abandonné en 1871 ?

 

- J’ai préféré le rejet de la guerre et le calme des paysans, touchés par les morts de 70. Je ne voulais pas que les rêves révolutionnaires se réalisent dans le sang des révolutions.

 

- Il y en a marre de la domination, pour les femmes surtout. Nous voulons une Humanité nouvelle, un monde nouveau, une République sociale, universelle, sans le poids des bondieuseries et de la religion.

 

- Mais elle ne doit pas croître dans le sang !

 

- Qui a été sanguinaire ? Qui a attaqué Paris dès le 2 avril ? Quelques centaines - oui, c’est trop –, bien sûr, de victimes de la Commune et de la population outrée de tant d’injustices. Mais les 25 000 morts de la Semaine sanglante ? De cette guerre civile déclenchée par Versailles. M. Thiers est un foutriquet qui a les mains rouges de sang.

 

- Je n’aimais pas particulièrement Thiers.

 

- Alors ?

 

- Les Communards ont été excessifs, je les crois insensés dans leur construction du monde. C’était une aventure dangereuse. Mais vous, institutrice, d’où vous viennent ces pensées d’insoumission ?

 

- Les parents et grands parents qui m’ont recueillie m’ont fait lire les philosophes du siècle des Lumières, Voltaire en particulier. Mais toi aussi, George, tu as été initiée à ces philosophes ?

 

- J’ai été moi aussi , effectivement révoltée par l’injustice sociale, par les affronts faits aux femmes.

 

- J’ai lu Les paroles d’un croyant de Lamenais et cela m’a marqué.

 

- Ah, Lamenais ! Je me suis disputée avec lui, à cause du divorce. J’ai eu aussi une éducation voltairienne. Jean-Jacques Rousseau m’est familier. La gestion du domaine de Nohant est l’occasion de mettre ses préceptes en pratique .

 

- Grand-père m’a raconté l’épopée de la Grande Révolution. Nous lisions nombre de livres ensemble.

 

- Bon sang ! Mais chez moi aussi, mon père a approuvé la fin des privilèges !

 

- J’ai connu, enfant, la vie heureuse de la campagne. Je me suis intéressée à la lutte contre la maltraitance des animaux. Même sur La Virginie, le bateau d’exil pour atteindre la Nouvelle Calédonie, je ne pouvais pas supporter la chasse aux cormorans.

 

- Mais moi aussi, j’aime les animaux et les plantes de mon cher Berry. Pour les plantes, je cherchais les secrets de leur usage.

 

- Dans mon enfance, j’ai pratiqué les veillées, écouter les bonnes vieilles histoires du terroir. Cela ne m’a pas empêché d’apparaître comme une jument folle de liberté.

 

- Bon sang ! Les veillées du Berry ont bercé mon enfance et toute ma vie rurale. Vous savez bien, nom d’un chien,que j’ai voulu redonner tous ces faits charmants dans mes romans pour qu’une jeune fille du pays d’Oïl comprenne et ressente toutes mes pensées et mes pratiques.

 

- Mais, le pain issu du terroir est dur à gagner, bourgeoise ! C’est pourquoi il ne faut pas se résigner à crever de faim, à accepter la fatalité, à être une ouaille du Seigneur.

 

- Arrêtez ! Je comprends tout cela !

 

- Alors, le programme de la Commune aurait dû vous toucher, toi et tes amis de la littérature et des arts. L’école, l’égalité institutrice-instituteur, le soutien pour une vie meilleure aux déshérités… Quel beau programme !

 

- Ne revenons pas sur la Commune, nous allons nous crêper le chignon. Mais je partage vos idées sur l’injustice. Certains meurent d’indigestion et les autres crèvent de faim.

 

- Donc, la justice divine n’existe pas.

 

- Je veux croire qu’une divinité puissante soit capable de créer un monde vivable. Mais je pense que cette divinité ne croit pas en l’homme ou plutôt utilise sa folie et ses défauts.

 

- Cet être suprême n’a engendré que religiosité, despotisme, propriété, guerres.

 

- Je ne suis pas spécialement dans la religion, mais je crois qu’elle peut agir contre les puissants.

 

- L’homme, et bien sûr, la femme ne seront jamais libres tant qu’ils croiront et obéiront à un dieu.

 

- Mais Dieu inspire la charité chrétienne. C’est comme cela que j’agis vis à vis de mes paysans du Berry.

 

- Employons donc le mot de solidarité qui ne se conçoit pas avec un être faible et isolé.

 

- Toutes les existences sont solidaires les unes des autres.

 

- Dis donc, bourgeoise, ton Jésus n’a-t-il pas été crucifié pour avoir dit «  aimons-nous les uns les autres » ?

 

- J’ai pensé (je pensais ?) au communisme. D’ailleurs, dans ma province, ne dit-on pas que je suis communisque. C’est une manière de christianisme.

 

- J’ai aussi pensé au communisme pour dépasser la notion de charité. Puis à l’anarchie, pour éviter le pouvoir de l’état-patron.

 

- Les hommes ne sont pas mûrs pour le communisme et l’anarchisme. Le communisme peut devenir une religion. Mais peut-il être forme de société? Mais j’ajoute : malheur à la richesse. Comment le communisme, l’anarchisme peuvent-ils devenir une force de reconstruction sociale ?

 

- Et comment concevoir l’amour dans cette société ?

 

- Pour moi, je n’ai pas pu, je n’ai pas voulu vivre sans amour Et l’amour (m') a fait, par la maternité, le plaisir immense d’avoir mon fils Maurice.

 

- Moi, je n’ai jamais voulu donner d’esclaves aux puissants !

 

- Bon sang, l’amour est donc politique chez vous ?

 

- L’amour ne doit pas faire oublier les combats d’idées.

 

- Aimer ne m’a jamais empêché d’agir, de combattre, de convaincre pour des idées.

 

- Et le mariage dans tout ça ?

 

- Je ne défends pas le mariage. C’est une institution faite de barbarie. Il doit être aboli.

 

- L’ homme et la femme doivent cependant être main dans la main.

 

- L’espèce humaine doit progresser vers la justice et la raison. Les enfants doivent profiter de cela.

 

- Mais toi, George, tu n’es pas restée main dans la main avec le même homme ?

 

- J’ai d’abord aimé mon mari, enfant illégitime du baron Dudevant. Je me suis mariée à 18 ans. Lui en avait 27. Nous n’avions rien en commun. La chasse ! La chasse! C’était son intérêt. J’ai aimé follement de nombreux hommes. Physiquement, j’étais dyspareunique, j’avais mal pour accomplir l’acte d’union. Alors, par instinct, je changeais. Je voulais aussi montrer que la femme est forte, qu’elle peut mener un homme. Je n’avais pas peur du scandale. Par mon prénom, par ma façon de m’habiller, de fumer. Et vous, Louise, vous avez pris un nom d’homme (aussi ?) ?

 

- Enjolras, oui. En signant, ma chance d’être insérée, éditée, lue s’en trouvait meilleure. André Léo a fait de même.

 

- Il y a un grand pas à faire contre la bêtise humaine qui induit que l’intelligence n’est réservée qu’aux hommes. 

 

Bravo, George !

 

- Le monde masculin veut régner par la force brutale et étouffer notre intelligence. Nous laisser incultes.

 

- Nous voulons la science et la liberté. Comme institutrice, ma méthode était expérimentale. Elle irriguait le cerveau mieux que les leçons apprises par coeur.

 

- J’ai inscrit ma fille dans votre école. Je lui voulais aussi un enseignement laïque.

 

- En Nouvelle-Calédonie, j’ai mêlé enfants de métropolitains et kanak.

 

- Ne trouves-tu pas que la femme est plus sensible, plus artiste, plus poète ?

 

- Quoi ? C’est toi, George qui parle ainsi ?

 

- Mais, en poésie, tu as été encouragée par Victor Hugo. Je ne l’ai jamais rencontré. Mais à la mort de sa fille, je lui ai écrit, le 30 août 1868.

« Mon coeur a été avec le vôtre durant ces jours amers, en cette épreuve bien grande, d’un grand courage. Que peut-on vous dire, à vous, que votre grande âme ne vous dise plus et mieux. On peut seulement vous dire que plus le malheur vous frappe, plus on vous respecte et vous aime ».

 

- Il m’a toujours soutenue, même dans les jours d’emprisonnement. C’était mon maître en poésie.

 

- Tiens, tiens ! Drôle de qualificatif pour une révolutionnaire : « Mon maître ». On dit que vous avez été sa maîtresse ?

 

- Ah ! Ragots ! Il paraît même que j’aurais eu une fille de lui.

 

- Mais le public préfère nos amours à nos idées. Ragots aussi pour moi avec ce pauvre Musset. Ecrire est une passion, mais surtout un travail, pour tirer revenu de ma plume.

 

- Mais le monde de l’édition et un univers de bassesses. J’ai rempli des pages et des pages. Même si je n’étais pas payée par ces chicaneurs.

 

- Nous nous ressemblons donc. Il faut toujours travailler, travailler.

 

- Travailler, travailler.

 

- Travailler en musique. Enfant, j’étais déjà sensible à la musique… Et puis. .. Chopin…

 

- J’aime le violon par-dessus tout.

 

- La musique adoucit les mœurs.

 

- Dommage que les policiers ne soient pas suffisamment musiciens.

 

- Alors, pourquoi faites-vous de la politique ?

 

- C’est plutôt de l’humanité. Les inégalités tomberont quand homme et femme seront ensemble pour la lutte finale.

 

- L’homme et le femme pourront remplir des fonctions différentes ou semblables sans que la femme soit tenue dans un état d’infériorité.

 

- Je revendique le droit des femmes non-esclaves de l’homme. Nous sommes la moitié de l’humanité.

 

- Pour que notre condition de femmes soit transformée, il faut que la société soit transformée radicalement.

 

- Nous ne voulons pas quelques cris isolés, mais que le peuple entier, debout, réclame la délivrance de tous les esclavages, qu’ils s’appellent le prolétaire ou la femme.

 

- Nous savons, pauvre Louise, que la majorité du peuple français est crédule, ignorante, bête et méchante, aveugle, ingrate.

 

- Elle est bourgeoise, donc ! On protège trop celui qui possède contre celui qui n’a rien.

 

- Vous méritez (gagnez ?) à être connue. Il paraît qu’à Londres, on vous appelait Good Woman.

 

- Ce n’était pas pour me déplaire. C’est mieux que voleuse, massacreuse, pétroleuse, incendiaire, furie.

 

- Moi, c’est la bonne dame de Nohant.

 

- J’ai le mal des morts, tant de mes amies et amis ont disparu.

 

- Allez, nous allons nous quitter. Voulez-vous de la camomille de mon jardin?

 

- Je préfèrerais une infusion de fleurs de niaoulis.

 

- C’est curieux que nous ne nous soyons jamais rencontrées.

 

- Nous sommes les symboles de 2 mondes.

 

- Mais, bon sang, j’apprécie le peuple des campagnes.

 

- Mais , vous n’êtes plus la George de 48.

 

- Je suis Républicaine. Le peuple, l’humanité, ce ne sont pas des vains mots.

 

- Nous sommes à une époque d'anxiété et tout le monde cherche sa route.

​

- Alors, cherchons-la, ensemble.

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