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LE BESTIAIRE DE FOURIER :

les hommes, les animaux, les anti-animaux et les contre-animaux

Les animaux, anti-animaux et contre-animaux de Fourier seront sollicités dans le projet comme véhicules, menant les visiteurs d'un point à l'autre du site, selon leurs talents spécifiques. Relevant la manière dont Fourier, en fin de compte, asservit les animaux pour en faire des êtres utiles à l'homme, leur libération, dans le site, sera inéluctable.

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INTRODUCTION

 

De nombreux communards étaient fouriéristes : Eugène Varlin, ouvrier relieur, financier et intendant de la Commune, l'artiste Auguste Ottin, l'architecte Joseph Delbrouck, le poète-maroquinier Fortuné Henry.  Eugène Pottier, dessinateur sur étoffes et chansonnier (L'internationale), qui intégra la notion de Luxe Communal dans le manifeste de la Fédération des artistes, parlait de la « cosmogonie à la fois mystique et matérialiste" de Fourier.


Charles Fourier, considéré par Marx et Engels comme figure du « socialisme critico-utopique », était à la recherche de l'Harmonie universelle. L 'oeuvre de Fourier, écrit Engels, est un poème mathématique et l'on ne peut mieux définir les superbes concerts de passions inventées, puissances d'harmonie qui passent la raison, mais que l'étrange rêveur maîtrise et mesure selon la science la plus juste : les mathématiques.

                                                                                                                                                       Engels, Dialectique de la nature, Paris 1950

Fourier considère que l'attirance naturelle des humains pour l'activité et la vertu se trouve entravée et pervertie par le travail dans le contexte de la société industrielle. Il faut rendre le travail plus attractif. Il imagine les Phalanstères, des sociétés idéales composées de phalanges de 1 620 individus de tous âges, où chacun œuvre selon ses affinités, tout en accordant une place particulière à l'agriculture, ainsi qu'aux arts et aux sciences.

Il propose la création de crèches, l'une des premières tentatives de libération de la femme. « Les progrès sociaux s’opèrent en raison des progrès des femmes vers la liberté et les décadences d’ordre social en raison du décroissement de la liberté des femmes ».

 

Sa réflexion sur l’organisation du travail, les relations entre les sexes et entre l’individu et la société, le posent comme un précurseur du socialisme et du féminisme français.

« Théorie des quatre mouvements » de Fourier (lien)

THEORIE DES ATTRACTIONS PASSIONNEES

Sa théorie des Attractions passionnées pensée sur le modèle de la théorie de la gravitation de Newton,constitue son prolongement psychologique et cosmologique, car les passions régissent l'âme humaine et le monde. Son raisonnement analogique tente d'éclairer les situations passionnelles humaines en observant les animaux et les plantes.

 

L’Attraction passionnée agit sur les êtres humains par l’intermédiaire de douze aiguillons : les douze Passions radicales. Leur libre essor va satisfaire le besoin d’unité, ou Unitéisme, gage de l’Harmonie universelle des humains entre eux et avec la nature.

  • cinq passions sensuelles, tendant à épanouir les cinq sens physiologiques ;

  • quatre passions affectives, tendant à former spontanément des groupes : ambition, amitié, amour, famillisme ;

  • trois passions organisatrices, tendant à harmoniser entre elles les neuf précédentes : cabaliste ou goût de l’intrigue et du calcul, papillonne ou goût du changement, composite ou goût pour l’assemblage des plaisirs des sens et de l’âme qui engendre l’exaltation.

LE COÏT DES PLANÈTES 

Les astres et les planètes sont androgynes, et peuvent se féconder eux-mêmes ou mutuellement, grâce à leurs « arômes ». Les objets et les êtres ainsi créés (le paon, le blé et la vigne, l'or et le diamant sont des créations du Soleil : irradiation, autorité et ralliement) par le raisonnement analogique complexe de Fourier constituent des « générations » au sens physique du terme, (et non des allégories immatérielles), qui lient les passions et les objets physiques, des sentiments et des objets. L'immatériel est lié au matériel, l'abstrait au concret, le visible à l'invisible. Les analogies constituent des rapports sensibles d'engendrement et de parenté. Le monde obéit aux lois, non de la physique, mais de l'analogie.

METAMORPHOSES - L'ARCHI-BRAS

La pratique de l'Harmonie par les phalanstériens permettra, au cours du temps, d'engendrer des métamorphoses corporelles. Ainsi du "bras d'Harmonie", aussi appelé « archi-bras » dont Victor Considérant, le principal disciple de Fourier, fut équipé par nombre de caricaturistes.

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L'extrait suivant fut supprimé de la publication de certains cahiers de Fourier par ses disciples, soucieux de développer les aspects économiques et politiques de la doctrine, sans exposer l'association fouriériste aux conséquences qu'entrainerait la publication des écrits les plus extravagants, comme « Le nouveau monde amoureux », très licencieux pour l'époque, ou les théories liée à la « Régénération du corps humain » (les métamorphoses humaines ou animales).

Quoique les hommes soient une race identique dans tous les globes, ils ont dans les soleils un avantage bien éminent sur ceux des autres globes : c’est le bras d’harmonie ou archibras réunissant diverses facultés réparties entre nos animaux, celles de la trompe de l’éléphant, celles de la queue prenante du singe. Ce bras d’harmonie est une véritable queue d’une immense longueur à 144 vertèbres partant du coccyx. Elle se relève et s’appuie sur l’épaule d’où elle doit porter à la double hauteur du corps, ainsi selon notre hauteur elle aurait environ 16 pieds de longueur dont 3 de perdus pour l’appui sur l’épaule et au moins 12 de développement. Ce membre est aussi redoutable qu’industrieux, il est arme naturelle. Un habitant du soleil attendrait un lion et un taureau de pied ferme, et à 6 pas il casserait au lion l’échine d’un coup d’archibras et renverserait le taureau par les cornes ou les jambes sans l’approcher, et il couperait d’un [blanc] la tête du serpent. Enfin il est armé de résistance contre tous les animaux et met l’homme sans arme à niveau avec eux. On conçoit quelle est sa supériorité quand il est armé d’une épée. L’archibras est terminé par une main très petite, allongée, aussi forte que les serres de l’aigle ou du cancre. Les doigts sont de dimension inverse : les 1 et 4 plus grands que les 2 et 3, le pouce très allongé. Cette main a comme la patte du lion des griffes mobiles et rentrantes. L’archibras à la nage fait avancer un homme aussi vite qu’un poisson. Il fouille au fond des eaux, y porte et assure les filets. Avec son appui un homme atteint une branche de 12 pieds de hauteur, saute sur l’arbre et descend de même, va pincer des fruits à l’extrémité de l’arbre et les rassemble dans le panier noué à l’archimain. Il sert de fouet et de guide à celui qui tient la charrue ou qui, placé dans une voiture, peut de l’intérieur ramasser un fétu et enrayer sans descendre. Il sert à dompter un cheval mutin : le cavalier avec son archibras lui noue les deux jambes. Il sert de même à diriger par la corne tous les bestiaux et l’éléphant par les défenses. Il dirige les ballons et les ailes. Il est infiniment utile, et dans le jeu des instruments il double les facultés manuelles, ses doigts, quoique très petits, étant très extensibles. Enfin ses emplois sont si brillants et si nombreux qu’il est plus aisé de les concevoir que de les décrire. Ce membre, en accélérant prodigieusement les travaux donne d’immenses richesses aux habitants solaires.

Si nous pouvions voir les habitants du globe solaire, chacun d’eux, homme et femme, nous paraîtrait entortillé d’un grand serpent blanc dont la tête et le col se développerait à partir de l’épaule qui en serait le point d’appui. Car on développe toujours de l’archibras une longueur égale au double du bras. On ne le déroule en plein que pour les grands emplois.

S’agit-il d’un saut : dès que l’élan est pris l’archibras s’appuie en spirale. Il doit tripler au moins l’élan naturel. Il affaiblit la chute des deux tiers. On le fait tournoyer en cône pour ralentir le corps et former parachute inférieur au moyen duquel on peut tomber d’un lieu fort élevé sans autre danger qu’une contusion, vu que le premier choc est supporté par l’archibras arrivant à terre et s’y roulant en spirale pour former appui. L’homme pourvu d’archibras ne se baisse jamais ou presque jamais dans le travail. S’il faut agir de la bêche ou de la pioche, on les emploie d’une grande longueur parce l’archibras les dirige du fer, tandis qu’ils sont du bout du manche soutenus par les deux mains. Le levier ainsi renforcé par sa longueur et son double appui peut faire un ouvrage au moins triple du nôtre à force égale. Si le maçon monte au sommet d’une flèche, l’archibras lui sert à se nouer et garantir de chute en lui laissant l’usage des deux mains et de l’archimain. Les emplois sont bien plus étendus dans les travaux du matelot qui au moyen de ce membre grimpera aux mâts avec la vélocité d’un singe et y travaillerait bien noué et muni de trois mains dont l’une atteindra à 12 pieds du matelot. On remplirait cent pages s’il fallait décrire en plein les précieux usages de ce membre sans lequel le corps humain est vraiment un avorton.

 

On pourrait s’étonner que Dieu n’ait pas favorisé d’un membre si utile la race qui habite notre globe. Elle se détruirait elle-même si elle était pourvue de cette arme naturelle qui ne convient qu’aux hommes exempts de passer par les périodes de lymbe sujettes à la discorde. Il y a bien quelques discordes individuelles entre les Solariens, mais dans leurs luttes il est défendu par point d’honneur de faire usage de l’archibras au moyen duquel deux hommes pourraient par coups simultanés s’entrouvrir le ventre à tous deux.

 

On objectera que nous serons exempts de pareil danger dans l’harmonie où par l’effet de la politesse générale les disputes seront traitées avec civilité comme aujourd’hui celle des gens de cour. L’observation est juste mais il n’est pas moins vrai que nous avions plusieurs mille ans à passer dans un état de discorde pendant lequel Dieu a dû nous refuser l’archibras. Il ne nous sera donné que lorsque nous aurons passé à l’Harmonie Composée qui commencera après 16 générations d’Harmonie Simple — environ 400 ans. La race humaine à cette époque sera enfin pourvue de l’archibras comme les habitants du soleil. Elle le perdra à la fin du monde lorsqu’elle sera retombée en Harmonie Simple ou 25e période sociale.

Il faut bien comprendre aussi que l’instauration de la société phalanstérienne incitera Dieu à opérer de nouvelles créations qui seront l’image des passions heureuses de la société harmonienne. Tandis que "les sociétés subversives" compriment le tempérament de la nature, la contraignent à produire analogiquement des créatures immondes ou ridicules, la révolution phalanstérienne entraînera au nom du même principe, la création divine d’un "mobilier nouveau" accordé à une organisation sociale harmonieuse.

Fourier, Œuvres complètes, éditions Anthropos, 1835

LES NOUVELLES CRÉATIONS SURGIRONT CINQ ANS APRÈS LES PREMIERS PHALANSTÈRES.         

                                           FOURIER (IV, 255)

Dessins :
Natalya Buryka
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L’ANTI-PHOQUE OU CHEVAL MARIN pour conduire nos pêcheurs et promeneurs avec la rapidité de l’hirondelle.

L’ANTI-REQUIN pour aider au placement des filets et aller traquer, amener le poisson.

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L’ANTI-BALEINE pour s’attacher au vaisseau dans les temps calmes qu’on choisira en été pour les parties de plaisir et de pêche maritime. Elles seront fréquentes lorsque la mer sera purgée de sa saveur infecte et de ses immondes créatures telles que le requin et autres ennemis de l’homme" (VIII, 163). 

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Sur terre et au nom du même principe, Dieu ne manquera pas de créer "L’ANTI-LION, serviteur incomparable, dix-huit pieds de long (5,5m) du museau au coccis, capable de porter sept hommes à la file à dix lieues à l’heure, d’un galop très doux, élastique et rasant terre. Il fait le service de la poste aux lettres (...)

Superbe et docile quadrupède, un porteur élastique (...), avec des relais duquel un cavalier, partant le matin de Calais ou Bruxelles, ira déjeuner à Paris, dîner à Lyon et souper à Marseille, moins fatigué par cette journée qu'un de nos courriers à franc étrier (...car) un anti-lion franchira aisément à chaque pas quatre toises par bon rasant, et le cavalier, sur le dos de ce coureur, sera aussi mollement que dans une berline suspendue.

Pour Fourier, on peut déceler, dans ce que laisse la nature et que la civilisation n’a pas encore perverti, les signes du projet divin. Ceux-ci sont à notre disposition chez les animaux : « créatures simples, bornées à l’impulsion divine ou jeu de l’attraction et de l’instinct, sans concours de la raison ou du raffinement passionnel ».

Les animaux, uniquement guidés par le projet divin, sont stationnaires :

Aussi l’animal est-il stationnaire et n’avance-t-il pas au-delà des limites de son instinct primitif. Les abeilles dans dix mille ans ne sauront pas mieux faire la ruche qu’elles ne la firent aux premiers âges du monde.

 

L'homme, au contraire, est pourvu d’une raison progressive et alliable avec le levier divin ou Attraction. Il est premier anneau d’échelle composée, d’où il suit qu’il y a dans le mouvement des sociétés humaines deux leviers de Mouvement à tenir en balance, et qu’en opprimant l’un des deux, soit le levier divin ou Attraction, soit le levier humain ou Raison, l’on aboutit qu’à les paralyser tous les deux ; effet ridicule de nos sciences qui, voulant donner l’une tout à Dieu, et l’autre tout à l’homme, n’arrivent qu’à fausser l’un et l’autre .

Si l'animal, dépourvu de raison, est une forme pure de l'Attraction (le levier divin), l'homme est pris entre les logiques antagonistes de l'Attraction et de la Raison.

L’animal n’ambitionne pas de s’élever à un autre bonheur que le sien : il ne désire que dans l'ordre de son désir, tandis que l'homme désire ce qu'il n'a pas.

Outre la raison et le désir, l'animal se distingue de l'homme en ce qu'il ne peut connaître Dieu, et qu'il ne prévoit pas sa mort, sinon il serait inquiet toute sa vie.

Fourier insiste sur la liberté dont l'animal peut jouir ; l’animal est heureux, son insouciance échappe à l’homme civilisé, ce qui lui fait dire que « les animaux libres sont plus heureux que l’homme civilisé, qui est ravalé au-dessous de la condition des bêtes ».

Fourier envisage une harmonie analogique, à la fois synchronique (état d'une chose à un moment du temps) et diachronique (évolution de l'état d'une chose dans le temps) des espèces, entre elles et à travers les âges : « si les bêtes, les plantes et les choses sont les moules ou les emblèmes de nos passions, que leur arrive-t-il lorsque les passions changent : elles changent aussi ». Ces bêtes, plantes et choses, dans ce contexte, sont munies de deux préfixes, « contre » et « anti », qui indiquent deux temporalités : « contre » désigne un être ou une chose contraire à un ou une autre en synchronie, et « anti » en diachronie

 

A la question de savoir pourquoi Dieu a créé des animaux laids et méchants (la vipère, le crocodile) Fourier pose, en vertu de la loi des analogies, qu'il a dû « installer » ces êtres dans le « mobilier zoologique » car elles sont le reflet des mauvaises pensées des hommes. La disparition, en Harmonie réalisée, des mauvaises pensées humaines entrainera donc la disparition des animaux laids et méchants. Les 130 espèces existantes de serpents correspondent par exemple à 130 effets de la calomnie et de la perfide dans la société mensongère.

 

Les bêtes ne représentent pas nos états d'âmes, ou nos conflits intérieurs, elles les matérialisent.

 

L’accouplement futur de la Terre avec ses cinq satellites (Mercure, Junon, Cérès, Pallas, Lune) permettra, selon Fourier, le remplacement des êtres nuisibles à l’homme, comme le crocodile, le requin ou le lion, par des êtres utiles comme l’anti-crocodile, l’anti-requin ou l’anti-lion.

Métaphore du hiéroglyphe : les choses ne sont plus des choses, elles sont des signes disposés par Dieu de manière à représenter figurativement des idées qui leurs sont extérieures.

L'ELEPHANT

L'éléphant est hiéroglyphe de la société primitive (sectes confuses). C'était un état d'association où existait l'unité d'action industrielle figurée par la trompe. Cette unité avait pour unique appui la bonne chère ou luxe de la bouche, aussi l'éléphant n'a-t-il de luxe qu'à la bouche d'où sortent les défenses ou apuuis en ivoire. Il est dans son vêtement le plus pauvre des animaux, parce que les sectes confuses n'avaient aucune industrie manufacturière, et presque aucune parure, quoiqu'elles aimassent éperdument la parure : c'est ce que Dieu a représenté en couvrant de bout l'animal hiéroglyphique, et lui donnant un amour démesuré pour les ornements.

LE PAON

Mais pourquoi ce cri rebutant, ce contraste de la voix la plus déplaisante, avec le plus superbe plumage ? C'est pour peindre l'action individuelle qui est mensongère et discordante. Le plumage attire et charme comme emblème de l'ordre sociétaire, mais l'animal n'ayant par lui-même aucune propriété sociale, et ne s'unissant pas à nos travaux, Dieu nous peint dans son cri la fausseté de tout individu, hors de l'association progressive.

Autre énigme sur la laideur extrême de ses pattes ; pourquoi ne les avoir pas ornées comme celles du pigeon ou de l'aigle, et pourquoi deux supports hideux pour porter tant de luxe, c'est que l'ordre sociétaire et l'opulence qui en résultera s'appuient sur deux âges de pauvreté.

L'ABEILLE

On s'imagine que la ruche représente l'égalité ; tant s'en faut : la ruche et le guêpier son contraire peignent l'ordre politique d'harmonie et de civilisation. Les abeilles figurent toutes les phalanges du globe réunies sous la protection du monarque fédéral, qui a pour emblème la reine abeille, correspondant avec chaque alvéole. Les bourdons figurent l'action improductive ; les congrès et agences intermédiaires, qui sont subordonnées à la hiérarchie fédérale, et amovibles par les phalanges. C'est par analogie que l'abeille tue le bourdon, quand elle n'a plus besoin de lui. Tout ce mécanisme est peint en renversement dans le guêpier qui est hiéroglyphe de l'ordre politique de civilisation.

Pour rendre le tableau fidèle, il faut que les deux insectes nous présentent les résultats opposés de l'ordre combiné et de l'ordre incohérent :

1° L'opulence et la pauvreté. Elles sont figurées chez l'abeille par le miel, chez la guêpe par le carton inutile que donnent ses immenses travaux, images de nos prodiges industriels qui n'aboutissent qu'à l'indigence.

2° Les lumières sociales et l'ignorance sociale. Elles sont figurées chez l'abeille par la cire, source de lumière, et par l'association domestique avec l'homme. Chez la guêpe on voit les emblèmes d'ignorance et de discorde sociale dans l'affreuse révolution où le guêpier se détruit par lui-même, dans sa position souterraine et cachée à la lumière, dans les hostilités contre l'homme, que la guêpe attaque sans offense, qu'elle harcèle et dépouille, en s'introduisant dans nos appartements pour y souiller les mets qu'elle dévore, et en égorgeant l'abeille notre alliée ; celle-ci, au contraire ne nous fait aucun mal sans offense, et aucun larcin, car elle vit du parfum de nos fleurs, elle en double le charme par l'exemple du travail et par l'idée de l'harmonie sociale qu'elle éveille en nous quand elle vient se poser sur nos fleurs. 

                                                                                                                                           Fourier, Théorie des 4 mouvements

LA GIRAFE, LA CONTRE-GIRAFE ET L'ANTI-GIRAFE

La Girafe

La girafe représente l'inutilité complète de la Vérité en civilisation.

Puisque le propre de la vérité est de surmonter les erreurs, il faut que l'animal qui la représente élève son front au-dessus de tous les autres ; telle est la girafe qui broute les branchages à 18 pieds de hauteur. C'est, dit un vieil auteur, « une bête moult belle, douce et agréable à voir » mais comme elle ne saurait s'accorder avec nos usages, il faut que la girafe, son hiéroglyphe, ne soit d'aucun emploi dans nos travaux ; Dieu l'a donc réduite à la nullité, par [coupe disproportionnée des deux trains, d'où naît] une démarche irrégulière qui agite, et froisse le fardeau qu'on lui impose. Dès lors on préfère la laisser dans l'inaction, comme parmi nous on écarte des emplois l'homme véridique dont le caractère heurterait tous les usages reçus et toutes les volontés. La vérité chez nous n'est belle que dans l'inaction, et la girafe par analogie n'est admirée que lorsqu'elle est en repos ; mais dans sa démarche elle excite les huées, comme la vérité excite les huées quand elle est agissante. Qu'un homme aille dans un cercle de belle compagnie, dire la bonne et franche vérité sur les fredaines des honnêtes femmes qui s'y trouvent, sur les grivelages des gens d'affaires ou autres personnes du salon, vous verrez l'indignation éclater, et l'on s'accordera à faire taire et honnir l'orateur. C'est bien pis en affaires politiques où la vérité a encore moins d'essor ; et pour représenter cette compression de la vérité, cet obstacle invincible à ses développements, Dieu a tranché les bois de la girafe à leur racine, ils ne font que poindre et ne peuvent étendre leurs rameaux ; le ciseau de Dieu les a coupés à leur base, comme parmi nous le ciseau de l'autorité et celui de l'opinion abattent la vérité à son apparition et lui interdisent tout essor. Cependant le plus fourbe de nous veut encore paraître véridique, et quoique ennemis de la vérité, nous aimons nous affubler de son enveloppe ; par analogie nous ne voulons de la girafe que son enveloppe, que sa peau qui est extrêmement belle : quand nous saisissons cet animal, nous le traitons à peu près comme nous traitons la vérité : nous lui disons : « Pauvre bête tu n'es bonne qu'à rester dans tes déserts loin de la société des hommes, on peut t'admirer un moment, mais il faut finir par te tuer et ne garder que ton manteau, de même que nous étouffons la vérité pour n'en garder que l'apparence. »

On voit par cette explication que Dieu n'a rien créé d'inutile même dans la girafe qui est l'inutilité parfaite, mais Dieu étant obligé de représenter tous les jeux de nos passions, il a fallu qu'il dépeignît dans cet animal l’inutilité complète de la vérité en civilisation.


 

La contre-girafe : le renne

Et si vous voulez savoir à quoi pourrait servir la vérité dans d'autres sociétés que la civilisation, étudiez ce problème dans la contre-girafe que nous nommons le renne, animal dont on tire tous les services imaginables ; aussi Dieu l'a-t-il exclu des climats sociaux d'où sera exclue la vérité tant que durera la civilisation.


 

L'anti-girafe

Et lorsque nous serons devenus par l'ordre sociétaire aptes à la pratique de la vérité et des vertus bannies d'entre nous, une nouvelle création nous donnera dans l'anti-girafe un grand et magnifique serviteur qui surpassera de beaucoup les belles propriétés du renne, objet de notre convoitise et de nos déclamations contre la nature qui nous en a privés.

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